Est-ce qu’on peut parler de la chance ☘️
Celle qui te fait rencontrer la bonne personne au bon moment. Celle qui te permet d’avoir une sécurité pour te concentrer sur tes projets. Celle qui te donne accès à l’éducation.
Surtout celle dont on parle trop peu dans l’entrepreneuriat.
Alors avec Charlotte, on en a parlé. De ça, mais aussi de communication inclusive, bien sûr, de comment on gère les périodes creuses et les remises en question, 10 ans après s’être lancée, de stratégie de prospection, de réseaux sociaux, de haters et de trouver l’équilibre entre ses valeurs et l’argent qui doit rentrer.
Une conversation que j’ai adorée et qui je pense, vous fera du bien.
Voici la transcription de cet interview :
Bonjour Charlotte. Merci d’avoir accepté mon invitation sur le podcast Entreprendre éthique. Est-ce que tu peux déjà commencer par me dire si ça va et ensuite te présenter rapidement et nous dire un petit peu qui tu es, ce que tu fais.
Bonjour Steffi. Ça va très bien. Je suis ravie que tu m’aies invitée. Pour expliquer un petit peu ce que je fais. Je suis traductrice spécialisée dans le français inclusif et consultante en communication inclusive. C’est deux choses qui peuvent fonctionner ensemble, mais pas toujours. J’ai commencé par être traductrice et ensuite, j’ai développé mon activité de conseil en communication inclusive.
Très bien. Est-ce que tu te souviens de la toute première fois où t’as pensé à créer ton entreprise telle qu’elle est actuellement ?
Je suis traductrice freelance depuis 2014. Juste à la fin de mes études, je me suis mis à mon compte parce qu’en fait, j’ai vite compris que la traduction, c’était un métier où il y avait une grande grande majorité de gens qui étaient en freelance. Donc c’était pour moi l’option numéro un en fait, c’était mon plan A et je n’avais pas spécialement de plan B. Je n’ai pas eu de moment comme ça d’épiphanie où je me suis dit « Il faudrait que je me lance en freelance. » C’était vraiment pour moi le plan de carrière tout tracé à la fin de mes études. C’est ce que j’ai fait. Et puis, pour la communication inclusive, ça a été plus progressif. J’ai eu de plus en plus de clients et de clientes qui me demandaient de traduire en inclusif. Je me suis formée aussi à l’écriture inclusive et puis j’ai remarqué qu’il y avait pas mal de gens et d’entreprises qui s’intéressaient à l’écriture inclusive, mais qu’il y avait un peu des freins, des petits blocages, des questions. Et donc je me suis dit « Voilà, pourquoi pas lancer mes services de conseil pour accompagner, que ce soit des freelances ou aussi des asso, des entreprises, des plus grosses structures, parce que j’ai vu qu’il y avait un besoin, mais peut- être un peu un manque d’expérience, d’expertise sur le sujet.
Ok, donc, en fait, c’est un peu la demande qui est venue à toi concernant tout ce qui était inclusivité. Du coup, si tu le veux bien, on va faire un grand retour en arrière puisqu’on revient en 2014. Tu sors de tes études, c’est ça ?
Oui, c’est ça.
Et donc tu te dis « Moi, dans mon milieu, c’est le freelancing. » C’est quoi le premier truc que tu fais pour lancer ton activité ?
Créer mon statut. Étape numéro 1, ce qui me paraissait une montagne. Et à l’époque, je faisais un stage dans une agence de traduction, mon stage de fin d’études, et j’avais une collègue qui travaillait aussi en tant que freelance. Elle m’a expliqué les démarches très simplement. Je me suis rendue compte qu’en cinq minutes, c’était réglé. Ça, c’est la première chose. Et puis après, j’ai refait un peu mon CV et j’ai commencé à lister des agences de traduction avec qui je pourrais travailler. Parce que c’est un peu le moyen plus simple quand on débute en traduction, c’est travailler avec des agences de traduction. On envoie des CV, des candidatures. Et puis après, on a des clients plus ou moins réguliers en fonction. Donc c’était mon plan de départ. C’est un peu la première chose que j’ai faite.
Et est-ce que tu as tout de suite réussi à trouver des clients ou tu avais un plan B en attendant ? Parce qu’ on sait qu’au démarrage d’une activité, ce n’est pas toujours évident de se créer un salaire tout de suite. Donc comment tu as géré ça ? Est-ce que ça a été une période plutôt longue ou plutôt courte pour toi ?
Alors, ça a été plutôt court. À la fin de mon stage de fin d’études, ma responsable de stage m’avait proposé de rester bosser dans l’entreprise et je lui avais dit que j’étais disponible pour un mi- temps, comme ça, j’avais le temps à côté de développer mon activité. J’aurais travaillé pour elle en tant que freelance à mi- temps et puis en tant que freelance pour moi de mon côté. Ça a duré deux ou trois semaines. Et en fait, j’ai eu la chance d’avoir un ami qui travaille dans une agence de traduction à qui j’ai envoyé mon CV. Il l’a fait passer aux personnes chargées de recrutement, donc j’ai passé des tests de traduction, etc. Et cette entreprise- là, cette agence est devenue mon client principal pendant, je dirais, quatre, cinq mois.
Quatre, cinq mois pendant lesquels j’ai bossé quasiment qu’avec cette agence, tout en continuant à envoyer des CV. J’ai envoyé plus d’une centaine de CV, mais c’est des choses qui prennent du temps parce que les agences ne sont pas forcément toujours en train de chercher. C’est quand elles ont un besoin en particulier, elles cherchent dans leur pool de CV, dans leurs mails qui sont envoyés et puis elles te contactent. Ça peut prendre du temps.
C’est de la traduction quoi français-anglais que tu fais ?
Oui, je fais anglais vers français et allemand vers français.
Ok. Et c’est quel type de projet que tu as au début ?
Au début, je me suis spécialisée dans le juridique et dans le financier parce que je savais que c’était des domaines dans lesquels il y avait du travail déjà et qui étaient un peu mieux payés que les autres domaines. Sachant que j’étais intéressée par le juridique de base, le financier, pas plus que ça, mais je me suis dit « Pourquoi pas ? » Et puis, au fur et à mesure, mes domaines de spécialisation ont évolué. Aujourd’hui, je travaille toujours dans le juridique pour les entreprises, je fais du droit des entreprises, droit des affaires, pardon. Mais je me suis aussi spécialisée dans l’environnement et dans la diversité et l’inclusion. C’est des sujets qui me passionnent, moi, qui sont petit à petit devenus aussi des domaines dans lesquels j’ai commencé à traduire. C’est ça qui est intéressant, finalement, c’est traduire dans des domaines qui sont intéressants, parce que la traduction en soi m’intéresse. Mais c’est vrai qu’il y a de grosses différences selon les secteurs et selon les domaines. Donc oui, ça a évolué. Quand j’ai commencé à me dire que j’avais une base de clientèle suffisante pour m’étendre à des domaines où il y avait peut- être un peu moins de demandes.
Je ne sais pas si tu étais consciente ou si ça s’est fait un petit peu naturellement, mais en gros, tu t’es dit « Je vais sécuriser avec des clients dans des domaines qui me passionnent peut-être un peu moins, mais qui sont plus sûrs, qui sont plus pérennes, pour ensuite m’ouvrir à des trucs qui me passionnent un petit peu plus. » Du coup, ça a pris combien de temps, tu dirais ? Tu as dit qu’au début, tu as tout de suite eu un client un gros client pendant cinq ou quatre ou cinq mois, je ne sais plus. Est-ce que du coup, après, ça s’est enchaîné naturellement quand ça s’est arrêté avec cette entreprise-là ? Est-ce que tout de suite, tu as pu enchaîner avec d’autres ? Est-ce que tout de suite, tu as une stabilité ? Est-ce que est-ce qu’il y a eu des hauts, des bas ? Comment ça s’est passé d’arriver à ce moment où tu t’es dit « Je suis assez sécurisée pour m’ouvrir à d’autres sujets » ?
Ça a été très progressif. J’ai eu des nouvelles clientes petit à petit, en sachant que quand j’ai commencé à bosser avec une nouvelle agence de traduction, je n’avais pas non plus un énorme flot de travail qui m’est arrivé dessus. Mais voilà, c’est des petits projets petit à petit. Et puis, une fois que la cliente voit qu’on travaille bien ensemble, etc, elle m’a donné de plus en plus de choses. Et c’était ça un petit peu avec toutes mes différentes clientes au fur et à mesure. Et puis, le fait d’ajouter ces domaines de spécialisation, ça a été progressif aussi. Petit à petit, je me suis un petit peu délaissée de la traduction financière et j’ai pris plus de projets qui m’intéressaient davantage. Mais il n’y a pas eu de coupure nette. Et aujourd’hui, je refuse les projets de traduction financière parce que je me dis que déjà, ça fait très longtemps que je n’ai pas traduit dans le domaine, donc à un moment donné, mes connaissances ne sont pas aussi développées que dans d’autres domaines. Et puis, ce n’est pas des choses qui m’intéressent. Aujourd’hui, maintenant, j’ai la chance de pouvoir choisir des projets sur lesquels je travaille, ce qui n’est pas le cas au début et ce qui n’est pas le cas forcément tous les ans. Ça dépend des périodes. Ça reste assez fluctuant, même neuf ans plus tard.
Oui, c’est ça qui est hyper intéressant, c’est que finalement, tu as beaucoup de recul sur l’entrepreneuriat et sur le fait de travailler à son compte et qu’en fait, même neuf ans après, finalement, il y a toujours des périodes où c’est plus facile que d’autres. Comment tu gères ces périodes ? Déjà, très basiquement, d’un point de vue financier, est-ce que tu t’es dit « Il faut que je me fasse une trésorerie pour assurer les mois où il y aura moins » ? Et aussi d’un point de vue « moral ». Peut-être qu’après neuf ans, c’est plus facile, mais moi, je sais qu’au début, la première fois où j’ai eu un creux dans mes demandes, je me suis dit « Oh mon Dieu, plus jamais de ma vie je vais travailler ». Est-ce que toi aussi, tu es passée par ce genre de phase ?
Oui, complètement. Et je passe encore par ce genre de phase neuf ans après. Peut-être ça s’arrêtera un jour, je ne sais pas. Sur le plan financier, oui, comme tu disais, de constituer une trésorerie, épargner les mois où il y a plus de factures qui sont payées pour pallier au moins à une période un peu plus creuse. Ça, c’est important. En tout cas, moi, ça me sécurise de me dire que j’ai une épargne de côté et si jamais j’ai un souci, je dois arrêter de travailler pendant plusieurs semaines ou je perds un gros projet ou ce genre de choses, j’ai toujours un coussin d’épargne sur lequel je peux m’asseoir. Et puis, oui, c’est un peu cette crainte de l’irrégularité et des périodes de creux, c’est quelque chose qui revient toujours quand, par exemple, j’ai dix jours, deux semaines sans vraiment trop de projets, je me dis « Qu’est-ce qui se passe ? Si ça se trouve, il y a eu un problème de qualité. Si ça se trouve, il y a un problème de relation clientèle, etc. » Et au final, c’est juste que c’est une période creuse pour mes clients, mes clientes et du coup, c’est une période creuse pour moi aussi.
Donc c’est quelque chose qui reste assez stressant, qui l’a été notamment pendant le Covid, où les entreprises avaient de moins en moins de ressources financières et puis elles devaient se réorganiser, etc. C’était une période un peu creuse aussi. Donc oui, c’est des choses qu’il faut apprendre à gérer. Maintenant, je me dis que je sais que ça va revenir, mais c’est vrai que c’est des choses qui sont un peu difficiles. Au début, encore plus. Là, avec les années, je sais qu’à un moment donné, je vais à nouveau avoir du travail. Je me pose un petit peu moins de questions, mais on n’est jamais sûr. Donc, il y a toujours ce petit côté d’incertitude qui reste.
Et du coup, si c’était une période plus courte, j’imagine, tu te dis « Bon, je laisse venir », etc. Mais est-ce que ça t’est arrivé, peut-être au début ou peut-être sur des périodes plus longues, de te dire « Là, il faut que je mette en place des actions, il faut que je prospecte. » Est-ce qu’il y a des moments où tu t’es dit « C’est une période creuse, mais je ne vais pas juste attendre et je vais faire quelque chose. » Et si oui, qu’est-ce que tu as fait ?
Oui, complètement. D’ailleurs, c’est quelque chose que j’ai systématisé assez vite. Le fait de me dire que j’ai des périodes creuses, mais ce n’est pas pour ça que c’est des vacances. Ce n’est pas des périodes creuses choisies. C’est même le contraire. Quand on choisit de prendre des vacances, c’est très souvent là où il y a des projets qui arrivent. En tout cas, dans mon cas, c’est souvent le cas. Ouais, du coup, j’ai assez vite pris le pli, entre guillemets, de faire de la prospection régulièrement. Au début, peut- être une à deux fois par an, j’en voyais des salves de candidatures, toujours ciblées, etc, en fonction des secteurs d’action activité, des services proposés. Ce n’est pas le même mail que j’envoyais à la terre entière, mais pour avoir toujours un petit peu un roulement de prospects avec qui je pourrais potentiellement travailler.
Et puis, petit à petit, j’ai aussi commencé à utiliser davantage les réseaux sociaux. Parce qu’au début, je n’étais que sur LinkedIn, mais je ne publiais pas du tout. Je suivais, je regardais un petit peu. Et j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai commencé à publier sur LinkedIn. Et puis, plus récemment sur Instagram.
Et puis, j’ai aussi ma newsletter que j’ai développée il y a un peu plus d’un an. C’est des choses que j’ai faites petit à petit et qui sont un peu du travail de fond que je fais régulièrement. Et puis aussi, quand j’ai des creux, je me dis « OK, voilà, là, cette semaine, je peux écrire quatre, cinq newslette d’avance pour les périodes où j’aurai moins de temps ». C’est des choses soit qui s’anticipent, soit on se dit « Voilà, là, j’ai une période de creux, c’est le moment de mettre à jour mon site ou commencer à chercher des entreprises avec lesquelles je pourrais travailler, histoire d’avoir au moins la liste des entreprises, etc… »
C’est hyper intéressant parce que je trouve… Après, c’est peut-être aussi parce que je suis dans un microcosme, tout le monde dit tout le temps la même chose, mais je trouve qu’on a beaucoup tendance à se dire « Je lance mon entreprise, le premier truc qu’il faut que je fasse, c’est créer mon compte sur Instagram. » Et finalement, toi, ce n’est pas du tout comme ça que tu l’as fait. C’est aussi surement parce que tu as démarré en 2014 et je ne sais pas trop si en 2014, il y avait beaucoup d’entreprises sur Instagram. Mais du coup, c’est quand même hyper intéressant de voir que finalement, on n’a pas forcément besoin des réseaux, même si c’est une source bienvenue quand même de visibilité et que ça peut aider. Ce n’est pas non plus le cœur, finalement, de ta stratégie d’acquisition client ?
Non. Après, ça peut être spécifique aussi au secteur d’activité dans lequel j’ai commencé, parce que c’est vrai que quand on démarche des agences de traduction, elles demandent CV, tarifs. Grosso modo, c’est un peu ça. Donc, au final, tu n’as pas forcément besoin, si tu veux, d’avoir une présence sur les réseaux sociaux, de te faire connaître. Mais ça peut être bien aussi, pour le bouche à l’oreille, si les gens te découvrent sur les réseaux, mais aussi si au moins tu as un profil LinkedIn ou sur un autre réseau social, mais qui est à jour, avec une photo, toutes les informations et que même si tu ne postes pas, tu es quand même assez régulièrement présente pour regarder un petit peu ce qui se passe dans ton secteur. Ça peut aussi être une preuve d’existence autre que sur ton CV et montrer que tu es disponible et accessible sur Internet aussi et c’est une preuve de crédibilité dans un sens. Comme avoir un site Internet, même s’il est tout simple, même si c’est un one page avec juste les informations basiques dessus, ça montre aussi que tu as ta page Internet, tu as ton LinkedIn et je trouve que ça fait un petit peu plus professionnel, ça fait un petit peu plus entreprise en tout cas que d’avoir juste son CV. Du coup, on est moins dans une démarche de « j’envoie un CV pour candidater », mais plutôt dans une démarche de « je propose mes services en tant que prestataire ». Ça, c’est un switch que j’ai fait, je pense, au bout de deux ou trois ans d’activité, quelque chose comme ça, et que j’avais pas eu tout de suite. Ne pas se mettre dans une posture de candidature, mais vraiment de prestataire qui propose ses services. Vous en voulez, vous en voulez pas, vous faites comme vous voulez, mais moi, je les propose. Et on est moins dans ce truc de « j’envoie mon CV j’attends fébrilement une réponse, qu’on me dise oui. » C’est un changement un peu de posture.
Oui, je vois. Finalement, c’est vrai qu’au début, comme tu expliquais, » j’envoyais mon CV, etc… », c’était un petit peu comme une recherche d’emploi. Alors que là, tu t’es vraiment positionnée comme une entreprise à part entière.
Oui, c’est ça. C’est symbolique, mais ce changement de mentalité, de mindset fait un peu la différence quand même.
Et est-ce que concrètement, dans tes résultats, dans le nombre de contrats que tu as eu, etc, tu as senti que ce switch avait eu des effets ou est-ce que c’était vraiment toi avec toi-même où tu te sentais plus à l’aise ?
Comme ça s’accompagnait aussi de la création de mon site, de plus de présence sur les réseaux sociaux et tout, je ne saurais pas forcément te dire quel a été le facteur le plus déterminant. Mais en tout cas, ça m’a motivée à créer mon site. Ça m’a motivée à être plus présente sur les réseaux sociaux, à me dire « Voilà, je fais des actions de communication pour mon activité, pour mon entreprise » et à être moins dans mon individu et ma posture individuelle, de me dire « Je me mets moi en avant sur les réseaux sociaux. » Là, c’était plus « Je mets en avant ce que je fais, pour montrer ce que je fais, montrer mes valeurs, qui je suis, etc. » Mais à titre professionnel. Et ça m’a aussi aidée un peu à surmonter cette peur de publier sur les réseaux sociaux, de se montrer, d’être d’avoir peur du regard des autres, de dire « Oh là là, qu’est-ce que ces personnes vont penser ? Et les gens qui étaient avec moi pendant mes études ? … » Ce genre de choses, de petites voix parasites qu’on peut avoir en tête. Et au final, se dire « En fait, c’est juste que je fais de la communication, je fais du marketing pour mon entreprise » et ça permet de « dépersonnaliser » un petit peu. Moi, ça m’a aidée. Après, ça aide pas forcément tout le monde, mais en tout cas, ça m’a peut-être aidée de me dire ça.
Ok, intéressant aussi. Donc, du coup, t’as commencé à poster sur les réseaux sociaux et à te créer une présence digitale, on va dire. Tu te souviens quelle année à peu près ?
Il me semble que j’ai créé ma page LinkedIn quand même assez vite et j’ai dû commencer à poster vers 2016, quelque chose comme ça, 2017 peut-être même. Au début, j’ai commencé déjà à commenter les posts d’autres personnes. C’était l’étape numéro 1. Et après, à poster un petit peu plus. Et sur Instagram, j’y suis depuis 2021, fin 2021. En fait, j’ai différencié, un petit peu moins maintenant, mais au début, j’ai différencié LinkedIn, sur lequel je parle plus de mes services de traduction, et Instagram, sur lequel je parle plus de mes services de communication inclusive. Et maintenant, j’en parle aussi un petit peu sur LinkedIn, mais j’ai essayé de cloisonner un petit peu les deux, en quelque sorte, pour que ce soit plus clair pour moi d’abord. C’est deux plateformes pour deux services différents, mais complémentaires. Et après, les sites Internet, mon site de traduction, je l’ai fait en 2020, pendant le Covid, j’avais un peu plus de temps. J’ai pu faire mon site toute seule. Ça, c’était hyper intéressant. J’ai appris plein de choses. Et mon site de communication inclusive, parce que j’ai deux sites. J’ai mon site de traduction et mon site de communication inclusive. Celui- là, je l’ai créé en 2021 aussi. Fin 2021, début 2022.
Ok, ça marche. Moi, c’est comme ça que je t’ai connue. Sur la création de l’entité communication inclusive, est-ce que là, tu te souviens de ce qui t’a donné l’impulsion ou du moment où tu t’es dit « En fait, je vais développer ce service et je vais vraiment en faire une entité à part entière » ?
En fait, j’avais de plus en plus de clientes qui me demandaient de traduire vers le français inclusif, notamment pour la Suisse. C’est beaucoup plus présent qu’en France et j’ai vu qu’il y avait plein de guides de styles différents, de recommandations différentes selon les entreprises, selon les personnes, selon le public qui était visé. Et j’ai trouvé ça très intéressant cette manière de… C’est un peu cette nouvelle langue, qui était assez nouvelle pour moi à l’époque, parce que j’avais des connaissances très basiques. Mais voilà, je n’étais pas plus renseignée que ça sur la question. Et je me suis assez vite rendue compte qu’il y avait des choses qui étaient un petit peu différentes, que c’était parfois un peu confus, que dans les documents de référence que j’avais pour traduire, il y avait différentes techniques qui étaient utilisées, ce n’était pas toujours les mêmes, etc. Donc, il y avait un petit peu un manque de cohérence parfois. Et je me suis dit « OK, en fait, je vois de plus en plus d’entreprises qui utilisent l’écriture inclusive. » Parce qu’une fois qu’on a commencé à ouvrir les yeux sur ça, on repère très vite où est le français inclusif. Mais en fait, ça varie beaucoup selon les types de structures, les publics, etc. Et parfois, les gens ont envie de bien faire, mais ils ne savent pas trop comment parler en inclusif, écrire en inclusif. Et je me suis dit, voilà, moi, j’ai envie de développer un peu cette expertise-là parce que c’est quelque chose qui m’intéresse d’une part, d’autre part parce que c’est aussi le moment où je suis devenue de plus en plus féministe. Je me suis de plus en plus informée sur la question et j’ai compris à quel point la langue, c’était un vrai outil de féminisme. Et j’ai décidé de me former en suivant la formation Écrire sans exclure d’Isabelle Meurville, qui est destinée aux personnes qui exercent des métiers de l’écrit. C’est une formation vraiment sur le français inclusif et j’ai appris beaucoup de choses. Et puis je me suis dit « Maintenant, j’ai un peu toutes les armes, si tu veux, pour me sentir légitime à proposer ce service-là ». C’est pour ça que j’ai commencé à faire ça. Et puis petit à petit, j’ai affiné un petit peu mes offres en comprenant de mieux en mieux le besoin. Parce que ça, je trouve que c’est un petit peu compliqué au début, même si on fait son étude de marché. Au final, c’est en travaillant avec des gens qu’on se rend compte beaucoup plus de leurs besoins, de leurs problématiques, de leurs difficultés etc, et de comment on peut les aider.
Ok, hyper intéressant. Je suis extrêmement contente de t’entendre dire que t’as développé ce service parce que t’avais de la demande. Parce que je trouve que c’est trop bien, c’est une super de nouvelle ! Alors effectivement, en France, je ne sais pas si on en est encore là, même deux ans plus tard. Je pense aussi que peut-être on peut, si tu veux, juste rappeler très rapidement ce qu’est l’écriture inclusive pour que tout le monde soit sur le même niveau d’information dans les personnes qui écoutent, si tu veux bien juste nous dire en quelques mots ce que c’est.
Oui, bien sûr. C’est vrai qu’on en parle depuis un petit moment sans expliquer ce que c’est. Pour faire simple, moi, je parle de communication inclusive de manière globale, comme ça, ça englobe aussi les visuels, les stéréotypes que l’on peut avoir dans les images, les couleurs, etc. C’est le fait de communiquer sans véhiculer de stéréotypes et d’une manière qui parle à tout le monde. Quand on parle d’écriture inclusive, on a souvent en tête plutôt l’égalité hommes-femmes, mais ça va être aussi d’éviter tous les stéréotypes sexistes, mais aussi racistes, grossophobes, etc. Et de s’adresser à tout le monde. Par exemple, sur un site Internet, sur la page des offres d’emploi, quand on cherche un manager ou une manager, ne pas mettre que des photos d’hommes blancs en costume qui ont une trentaine d’années. Voilà, c’est assez cliché, mais je l’ai vu quand même plusieurs fois. Et l’écriture inclusive, par exemple, c’est ne pas s’exprimer uniquement au masculin, parce qu’on le sait, on a cette règle que le masculin l’emporte sur le féminin. Donc voilà, tout est souvent au masculin, en tout cas par défaut. C’est trouver des alternatives visibles ou moins visibles. Visible, ça va être le point médian qui fait beaucoup, beaucoup de polémiques… Et moins visible, ça peut être de parler de nos équipes plus tôt que nos collaborateurs, ce genre de choses. Mais en tout cas, c’est le fait de ne pas reproduire les discriminations et les stéréotypes et de s’adresser à tout le monde.
Merci pour les précisions. C’est vrai que c’est important de donner la définition de ce dont on parle. Après, j’avais fait un épisode sur le podcast au tout début, sur la communication inclusive avec Léa Aniang, que peut-être tu connais. On avait aussi beaucoup parlé de communication inclusive. Du coup, il y a deux questions qui me tarodent. Est-ce que je vais retenir les deux ? Ce n’est pas sûr, mais en tout cas, la première, c’est : parler d’inclusivité sur LinkedIn, ça doit être quelque chose. Est- ce que tu peux nous parler un peu ? Comment ça se passe ? Déjà, bravo de le faire. Linkedin, je n’arrive pas encore à me lancer. Vraiment, ça m’effraie. Je ne sais pas comment toi tu le vis ?
C’est assez particulier parce que je parle en anglais sur LinkedIn à la base, parce que c’était pour ma clientèle de traduction, donc clientèle étrangère, donc anglophone. En fait, le langage inclusif fait beaucoup moins polémique dans des pays anglophones, notamment. Donc, j’ai un public, une audience qui est moins réfractaire parce qu’il y a moins de Français et de Française. Je pense que si j’en parlais en français, j’aurais beaucoup plus de réactions négatives, voire franchement parfois agressives quand je vois ce qu’il y a comme commentaires sous les posts d’autres personnes. C’est assez effrayant. Et j’ai eu un post qui a été viral, en tout cas à mon échelle, et c’était un poste sur « Pourquoi l’écriture inclusive fait polémique en France ? » où j’expliquais la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin, le fait que l’Académie française soit franchement opposée, soit très conservatrice au niveau de la langue, notamment. Et j’ai eu beaucoup de commentaires qui disaient que c’était n’importe quoi, qu’il y avait d’autres priorités, qu’on s’en fout, que ça dénature la langue, que c’est moche. J’ai fait une vague de blocage de comptes parce que je n’ai pas l’énergie pour échanger avec ces personnes- là. J’ai l’énergie pour échanger avec des personnes qui sont ouvertes à la question, mais des personnes qui partent avec leurs a priori et qui sont juste agressives, ce n’est pas la peine.
Oui, et puis je pense que ce n’est pas le genre de personne qui va changer d’avis en 3 commentaires LinkedIn.
Oui, voilà. Et puis, quand on met un commentaire LinkedIn avec une insulte à l’intérieur, en fait, je considère que j’ai le droit de ne pas te répondre. D’ailleurs, il y a même une personne que j’avais bloquée et qui m’a envoyé un DM sur LinkedIn pour me dire « Oui, tu m’as bloquée, mais voilà ce que je voulais te répondre. »
Si je t’ai bloquée, c’est que je ne veux pas savoir…
C’est assez hallucinant Alors, j’ai la chance de ne pas du tout avoir de commentaires comme ça sur Instagram. Franchement, je touche du bois parce que ça fait quasiment deux ans que je poste et j’ai eu quelques petits commentaires négatifs, mais vraiment pas de commentaires vraiment haineux, etc. Donc, pour le coup, j’ai encore pas mal de chances. Je ne sais pas si c’est lié au réseau, si c’est lié à ma manière de communiquer, si c’est lié aux personnes avec qui j’échange et du coup, je ne sais pas si c’est montré à moins de personnes aussi, un peu des trolls, etc. Je ne sais pas du tout, mais c’est vrai que j’ai l’impression que sur LinkedIn, ça fait beaucoup plus polémique et que les gens sont très virulents alors que c’est leur profil professionnel. Je trouve que c’est assez incroyable.
Oui, mais je trouve qu’en même temps, LinkedIn encourage un peu la polémique, les positions clivantes et que du coup, c’est un peu aussi leur but, je pense parfois, de faire le buzz, entre guillemets.
Oui, parce qu’il y a aussi des posts anti écriture inclusive où il n’y a absolument rien de concret dans le post, mais c’est juste dire l’écriture inclusive, ça dénature la langue, point final, et ça fait un peu le buzz. C’est vrai que l’algorithme de LinkedIn qui met en avant les posts en fonction du niveau de commentaires, etc. Et surtout qui montre les posts que les gens de ta communauté commentent. C’est peut-être aussi pour ça. Et puis, je suis aussi sur LinkedIn suivie par pas mal de linguistes, de traducteurs, de traductrices et du coup, c’est des gens qui sont quand même plus attachés à la langue, on va dire, qu’une personne lambda. Et il y a des personnes qui estiment que la langue, c’est ça, que les règles de grammaire, c’est ça. Et merci, au revoir.
Oui, alors qu’on rappelle quand même que une langue… Enfin, je veux dire, tu compares le français d’il y a 100 ans, j’imagine que ce n’est pas le même qu’il y a maintenant. Et d’il y a 200 ans, ce n’est pas le même qu’il y a 100 ans. C’est ça évolue, c’est l’effet naturel de la vie…
Oui, c’est le principe d’une langue vivante, c’est qu’elle vit. Oui, mais c’est vrai qu’on dit toujours la langue de Molière. Je pense que si on devait lire Molière comme il l’a écrit à son époque, ce ne serait pas la même chose. Mais oui, il y a plein d’idées reçues, ça serait un sujet d’épisode à part entière, je pense. C’est sûr que c’est un sujet qui fait polémique et il faut prendre un petit peu… Pas forcément prendre des pincettes, mais en tout cas peut-être un peu plus choisir ses mots quand on en parle.
Oui, pour te protéger aussi, parce que le but, ce n’est pas de te faire insulter. Ça a aussi des conséquences sur ta santé mentale.
Oui, c’est ça. Oui, mais on oublie un peu parfois que derrière un compte, il y a des vraies personnes.
Quand tu t’es dit « Je vais commencer à parler de communication inclusive », est-ce que tu avais conscience quand même que ça allait générer ce genre de réactions peut-être ?
Oui, d’un côté, parce que je sais que c’est un sujet qui fait polémique. Et c’est aussi pour ça que j’ai à cœur d’être dans une démarche de pédagogie et de dialogue. Et du coup, ça me pousse à me mettre un petit peu dans les baskets des gens qui vont lire mes posts, mais qui ne savent pas ce que c’est que l’écriture inclusive, par exemple. Et je me dis « OK, si tu tombes sur un post et que tu ne sais pas ce que c’est, il ne faut pas que tu aies l’impression que ce soit des trucs qui soient excluants pour toi. » J’ai des posts qui sont engagés, forcément, mais je m’attache plus à « Pourquoi c’est utile d’écrire en inclusif ? Comment on peut faire ? Plutôt que si t’écris pas en inclusif, c’est que tu es intolérant ou sexiste. Parce que ce n’est pas du tout le message que j’ai envie d’avoir. J’ai envie d’être plus dans un truc où je montre une image positive, montrer que ça peut être intéressant, ça peut être créatif, donner un petit peu plus envie aux gens, en tout cas d’explorer un peu le langage inclusif, de découvrir l’inclusion et la diversité de manière générale. C’est des choses qu’ils ne connaissent pas forcément.
Est- ce que ton objectif à terme, ce serait éventuellement de ne faire que de la traduction inclusive et de laisser de côté le reste ou tu aimes bien avoir cet équilibre des deux ?
J’aime bien avoir l’équilibre des deux parce que je m’étais posée la question de me dire « Est-ce que je garde que le conseil en communication inclusive ? » Et en fait, les deux m’intéressent. Je n’ai pas envie de lâcher la traduction parce que c’est vraiment un exercice qui me plaît beaucoup, même après neuf ans. J’ai de la chance. Et en même temps, j’ai envie de traduire que vers du français inclusif parce que là, j’ai encore des clients, des clientes qui refusent le français inclusif. En tout cas, tout ce qui est points médians, tout ce qui est féminisation des noms de métiers, même parfois ce genre de choses. Et c’est vrai que c’est un peu compliqué parce que je me dis « Il faut que je traduise en fonction du style de la personne. » C’est un petit blocage, mais en tout cas, non, j’ai envie de garder les deux. Ce sont des activités qui sont complémentaires, les deux, c’est un peu de la rédaction aussi. Quand je réécris un contenu en français inclusif, c’est aussi de la rédaction et de la traduction aussi. Et puis, j’ai envie de garder aussi cet aspect langue étrangère, cette diversité. Je trouve que l’avantage qu’on a quand on est freelance, c’est de pouvoir garder un peu les activités qui nous plaisent. Pas que, c’est sûr qu’on a toujours des choses plus ou moins intéressantes. La compta, par exemple, voilà, c’est pas ma passion. Mais disons que c’est compensé par le fait de pouvoir un peu organiser ses journées, organiser ses activités et les faire évoluer aussi. Je me dis, voilà, pour l’instant, j’ai envie de garder la traduction, mais ça se trouve, un jour, j’en aurai plus du tout envie. Et dans dix ans, je ferais que de la communication inclusive, on ne sait pas.
Et du coup, tu proposes systématiquement à ta clientèle le français inclusif. Et d’ailleurs, est- ce que tu proposes aussi de l’anglais inclusif ?
Tu traduis toujours vers ta langue maternelle. Donc, moi, c’est le français. Je le propose. Je fais un petit tour sur le site internet. Si je vois qu’il y a déjà des petits efforts qui sont faits, du genre les directeurs et les directrices, des choses comme ça, des petits féminins glissés par-ci et par-là, je me dit « La porte est ouverte, je peux y aller ». Après, parfois, quand je n’ai pas cette demande-là, je ne le propose pas forcément, mais je peux le faire un petit peu en sous-marin. Ça nécessite un temps supplémentaire, donc je ne le fais pas toujours. Mais quand j’ai la possibilité, je le fais un petit peu en sous-marin. Quand une agence va dire « Mes clients », moi, si je traduis par « Ma clientèle » et que ça passe tant mieux. Mais en général, oui, je le propose sans l’imposer. C’est-à- dire que si l’entreprise me dit que non, elle préfère garder tout au masculin, soit par souci de cohérence avec ses autres supports, soit parce que pour l’instant, ce n’est pas une demande qui a été faite. Je respecte. Parce que ça me titille un petit peu, mais je respecte parce que chaque entreprise en est à un endroit différent dans sa communication aussi. Surtout en entreprise, c’est des process qui peuvent prendre du temps. Tu peux avoir des personnes qui sont ouvertes sur la question dans le service com, mais pas du tout dans le marketing et ça bloque en interne.
Oui, d’ailleurs, j’ai travaillé à la SNCF et j’étais dans un service com d’une entité. La SNCF, c’est une énorme entreprise avec plein, plein, plein d’entités, de groupes, etc… Nous, on avait la consigne d’utiliser l’écriture inclusive, ce que je trouvais très cool. Mais même au sein de mon service, des gens disaient « Non, moi, je n’ai pas envie ». J’imagine qu’à l’échelle même d’une plus petite entreprise, c’est quand même un process long.
Oui, ça nécessite déjà d’expliquer ce que c’est.
Oui, c’est vrai parce qu’après, il faut maîtriser aussi…
Oui, c’est ça. C’est un petit peu en deux temps. C’est d’abord sensibiliser aux questions : à quoi ça sert, qu’est-ce que c’est et comment on peut le mettre en place. C’est vrai que s’il n’y a pas une vraie volonté au niveau de l’entreprise globalement, c’est compliqué d’avoir une personne qui fait sa petite initiative de son côté, mais qui n’est pas suivie par les 99% de l’entreprise…
Ok. Du coup, si on revient sur ton expérience plus globale de l’entrepreneuriat, pour toi, qu’est-ce qui a été le plus difficile à gérer ?
Je dirais, comme on en parlait tout à l’heure, le fait qu’il y ait des creux, le manque de régularité à la fois dans le travail, les missions, et dans les revenus. Ça va ensemble, normalement. C’est vrai que ça, c’est encore difficile à gérer, on en a parlé tout à l’heure. Et le fait que je n’ai pas vraiment de plan B, de me dire que, imagine demain tout s’arrête, il n’y a pas de raison, mais imagine, il y a toujours ce « et si ». Et si demain tout s’arrête, je fais quoi ? Ça va avec le fait de ne pas avoir de régularité tout le temps, tous les jours, etc. Et de ne pas trop pouvoir prévoir ce qui va en être de mon activité. Après, c’est un petit peu aussi la même chose en salariat. Tu ne peux jamais prévoir, ça se trouve, que tu vas être licencié économiquement ou pour d’autres raisons et tu vas te retrouver au chômage, devoir reconstruire un petit peu ton parcours professionnel. Mais ce manque de régularité… Enfin, pas de régularité, mais de variabilité des revenus et des projets, ce n’est pas toujours facile à gérer. Et surtout, au début, c’était très compliqué.
Je comprends à 1000%. Et du coup, tu parlais justement quand tu es salarié, tu n’es pas à l’abri que ta boîte ferme ou qu’il se passe je ne sais pas quoi, mais tu te retrouves quand même avec le chômage qui, quand même, est un sacré privilège, on ne va pas se mentir. Quand on est en auto entreprise, je ne sais pas si t’es toujours en micro-entreprise ou pas, mais on n’a pas de droit au chômage. Est-ce que tu as pris des dispositions ou un truc particulier pour pallier à cette éventualité ?
Je mets de côté. Au cas où voilà. Et puis après, pour tout ce qui est… On n’en a pas parlé, mais tout ce qui est arrêt maladie, arrêt longue durée, etc, j’ai pris une complémentaire spécifique, une assurance spécifique en me disant « On ne sait jamais on n’est pas à l’abri d’un congé maladie qui soit pas trop pris en charge. » Parce qu’on a des indemnités en tant que micro-entreprises, mais ce n’est pas mirobolant. Mais sinon, non, je ne sais pas. Je n’ai pas vraiment de plan. J’ai des petites idées comme ça en me disant « Si jamais je pourrais potentiellement retrouver un emploi salarié en traduction ou en communication, etc. » Mais en tout cas, j’ai l’impression quand tu es en micro-entreprise, à ton compte de manière générale, c’est t’assurer d’avoir un minimum d’épargne dans la mesure du possible. Ce n’est pas toujours possible, mais dans la mesure du possible, c’est plusieurs mois de trésorerie d’avance. L’idéal, c’est un an, mais bon, ça peut être long d’arriver à un an de trésorerie… Mais en tout cas, mettre de côté. Parce que moi, j’ai commencé, je n’avais pas du tout de chômage. C’était vraiment ça ou rien.
Oui, c’est vrai que ça, c’est quand même aussi un énorme privilège qu’on a souvent quand on commence la création d’entreprise, c’est que quand c’est une reconversion ou un truc de ce style, souvent, tu arrives à t’arranger pour avoir le chômage et du coup, tu as un an et demi, deux ans où tu as une petite sécurité. Mais toi, du coup, à la sortie des études, pas du tout.
Non, et en même temps, je suis quand même dans un milieu privilégié dans la mesure où mes parents ont pu… Enfin, j’avais cette sécurité-là de me dire « si je n’arrive pas à payer mon loyer, mes parents pourront me dépanner ». Ce qui est une chance énorme. Je n’ai pas compté dessus en me disant « Tant pis, là aujourd’hui, je suis fatiguée, je ne travaille pas, on verra bien demain. » Mais c’est rassurant de se dire « OK, au moins, j’ai toujours cette option-là, on va dire, ce filet de sécurité. » J’ai conscience que c’est parce que je suis privilégiée que j’ai ce filet de sécurité et que si je n’avais pas eu ce filet de sécurité, j’aurais peut-être recherché un emploi salarié, sûrement même recherché un emploi salarié à temps partiel ou à temps plein. D’autant que je suis en région parisienne, donc les loyers sont élevés… Avec un temps partiel c’est compliqué.
J’imagine. C’est une parfaite transition vers ma question suivante qui est que, pour moi, dans tous les parcours, il y a une part de chance. Ça n’enlève rien au travail, mais pour moi, dans tous les parcours, il y a une part de chance. C’est quoi pour toi les deux ou trois fois ou les deux ou trois trucs sur lesquels tu as eu de la chance et qui t’ont permis d’en arriver là où tu en es aujourd’hui ?
De manière générale, le fait d’avoir une éducation dans un milieu privilégié. J’ai pu faire des études sans avoir besoin d’avoir un travail étudiant à côté, donc ça m’a permis d’être pleinement concentrée dans mes études. J’ai pu être dans une école de traduction payante. Je dis pas ça parce que je n’aurais pas été bien à la fac, ça n’est pas du tout ce que je dis. C’est juste que c’est une grande école de traduction qui est reconnue, etc. Et que j’avais envie de faire. Et surtout, un diplôme que les gens connaissent quand on est dans le monde de la traduction. Mais donc, c’est une école privée payante et chère, évidemment. Un peu comme le modèle des écoles de commerce. Et donc d’avoir aussi ce filet de sécurité en me disant « Je commence et on verra si j’arrive à payer mon loyer. » Mais en tout cas, si je n’arrive pas à payer mon loyer, j’ai toujours un filet de sécurité. Et ça, c’est une chance énorme et je trouve que c’est à ne pas négliger du tout et en avoir conscience, c’est hyper important. Au même titre qu’avoir conscience du fait que j’ai pu faire mes études sans stress particulier, parce que j’ai pu vivre chez mes parents, j’avais un peu moins l’organisation du quotidien, j’avais pas besoin d’avoir un travail à côté.
Oui, c’est sûr, en termes de charge mentale…
Exactement. C’est hyper important. Voilà. Donc ce point-là.
La chance d’avoir un ami qui travaille dans une agence de traduction quand je me suis lancée. Parce que ça, mine de rien, c’est quand même grâce à lui que j’ai eu ma première cliente avec qui j’ai travaillé pendant très longtemps. Donc ça, j’en suis très contente. Idem aussi, j’ai une amie aussi qui travaille dans une autre agence de traduction, qui est actuellement cliente avec laquelle je bosse, pas le plus, mais avec qui je travaille beaucoup et qui a pu faire parvenir mon CV. Après, tu as toujours des tests de traduction. C’est à toi de faire tes preuves si tu veux. Mais d’avoir cette porte d’entrée- là, c’est une chance énorme. Et ça vient aussi, c’est en fonction des gens que tu connais. Moi, c’est des gens que j’ai connus pendant mes études. Mais cette chance- là de te dire « Je connais une personne qui a pu me donner un coup de pouce », je trouve que parfois, on met un peu en avant le réseautage, comme si ça venait de soi, comme s’il faut se constituer un bon réseau. Mais en fait, le réseau ne se constitue pas tout seul. C’est-à-dire qu’il y a déjà des gens qui constituent ton réseau avant même que tu commences à travailler et ça fait une grosse différence. Je trouve qu’un peu ce truc de « Il faut se constituer un réseau et parler aux gens », etc, ça ne vient pas forcément naturellement déjà de base. Il faut en avoir conscience aussi.
Oui, je suis entièrement d’accord avec toi. Moi, pendant longtemps, on m’a dit « Il faut travailler ton réseau, travailler ton réseau. » Alors moi, je viens d’un milieu où le réseau, c’est l’inconnu… Je pense que si je dis à ma mère « Il faut travailler ton réseau », elle ne sait pas ce que ça veut dire. Et je me disais « Comment je fais pour parler à cette personne que je connais pas ? » C’est pas du tout un truc naturel pour moi. Et oui, c’est très vrai, même si ça peut s’apprendre. Maintenant, j’ai une autre approche. Merci beaucoup pour ta transparence, c’est important.
Je t’en prie. Pour moi, c’est aussi important de pas avoir une vision de l’entrepreneuriat où, oui, j’ai travaillé, mais en fait, j’aurais pu très bien travailler tout autant et ne pas avoir les mêmes résultats, parce que je n’ai pas eu ces chances- là. Pour moi, c’est important de ne pas nier ces privilèges-là et de faire le self-made man ou woman plutôt.
C’est ça. Et est-ce que tu penses qu’a contrario, il y a aussi des choses qui, indépendamment de ta volonté, ont joué en ta défaveur ?
Oui. Après, c’est plus des questions de mentalité / santé mentale. Je suis quelqu’un d’assez stressée, anxieuse, donc ça, c’est sûr que ça ne joue pas en ma faveur de manière générale. Et le fait de ne pas forcément oser participer à des événements en présentiel, ce côté démarchage, en fait, que je n’ai pas du tout, pas trop. Et le fait de ne pas avoir appris ça pendant mes études. Ça, c’est quelque chose que je trouve un peu regrettable parce que quand on fait des études de traduction, sachant que la majorité des traducteurs et traductrices sont freelance, je trouve ça un peu dommage de ne pas nous avoir appris un peu les bases de la prospection, etc. Ça, je pense que ça a joué un peu en ma défaveur au début, parce que j’ai dû apprendre sur le tas et me rendre compte par moi-même que c’était important, etc. Et à l’époque, on en parlait peut-être moins aussi. Je ne sais pas si c’est parce que je me renseignais moins ou si c’est parce qu’aujourd’hui, j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de gens qui se lancent dans un entrepreneuriat en se disant « Bon, on verra bien. » J’ai l’impression qu’il y a un petit peu ce mythe parfois quand je vois des posts Instagram qui parlent d’entrepreneuriat, je me dis « Mais en fait, il faut arrêter de vendre du rêve aux gens comme si c’était du jour au lendemain. Tu crées ton site internet ou ta page Insta et puis tu fais 100K à l’année. » Je trouve parfois il y a un peu de ventes de rêve comme ça.
Exactement. C’est exactement pourquoi j’ai fait cette série d’interviews, c’est que je veux montrer la vraie vie.
C’est très bien. De montrer aussi un petit peu, je ne vais pas dire l’envers du décor, mais que les parcours sont quand même très différents selon les gens et qu’il y en a qui réussissent du jour au lendemain, mais c’est quand même assez rare. C’est du boulot derrière, c’est aussi des chances, c’est aussi des opportunités qu’on a ou qu’on n’a pas, c’est plein de facteurs.
Exactement. C’est une très, très belle conclusion. Merci beaucoup pour cet interview. Merci pour ton honnêteté et ta franchise. C’était très, très chouette. S’il y a une dernière chose que tu as envie d’ajouter, un truc qui te semble important à transmettre, n’hésite pas.
Disons cette idée de transparence, de ne pas… Alors, des deux côtés, ne pas montrer que les bons côtés sur les réseaux sociaux, ne pas faire croire aux gens que tout est simple quand on parle d’entrepreneuriat et d’un autre côté, avoir conscience qu’il y a des choses dont on ne parle pas sur les réseaux sociaux, dont les gens ne parlent pas forcément, des difficultés qui sont venues dans leur parcours, des chances qu’ils ont pu avoir. Avoir conscience que les réseaux sociaux, ça reste quelque chose, des contenus qui sont choisis, pas tout ce que les entrepreneurs, entrepreneuses montrent de leur vie. Il y en a de plus en plus qui montrent aussi l’envers du décor et ça, c’est hyper cool. Mais avoir cette conscience-là et puis, de manière plus générale, rester ouvert, ouverte d’esprit et toujours dans le dialogue. Je dis ça pour le côté communication inclusive, mais je trouve que c’est important de manière générale, de ne pas partir du principe que tout le monde a les mêmes connaissances. Avoir cette ouverture d’esprit, au fond.
Très bien. Merci beaucoup Charlotte.
Merci à toi.
Retrouvez Charlotte :
– Sur ses sites : communicationinclusive.fr & martitranslations.com
– Sur Instagram : @communicationinclusive
Cet article vous a plu ? Enregistrez-le sur Pinterest en cliquant sur une des images, pour le retrouver plus tard :